L’impro par définition se déroule dans un monde imaginaire, ce qui signifie que la notion de vérité n’a pas d’importance dans l’absolu. On pourrait à peu près dire ou faire ce qu’on veut en impro. En tout cas, on le peut lorsqu’on est seul à jouer puisque ainsi, la seule vérité que l’on risque de contredire c’est la nôtre.
Dès lors, un principe s’applique qui donne en réalité un intérêt immense au jeu d’impro, et cela consiste à considérer que le dernier qui parle a raison. C’est ainsi que l’on créée la réalité de l’impro, ce qui est dit ne devrait plus être contredit, en tout cas pas entièrement. Cela permet à chacun des joueurs de participer en partie à l’histoire sans risquer le coup de gomme des partenaires. Comme ce que vous racontez en impro n’existe pas, chacun est invité à croire d’emblée ce que vous dites, de manière à laisser à espace de liberté à chaque expression, permettre à tous les imaginaires de trouver leur place dans l’histoire. C’est fondateur pour l’impro, c’est très inspirant à plus large échelle.
Combien de fois dans la vie de tous les jours partons-nous du principe que le dernier qui parle a raison ? Et combien aurions-nous à gagner en richesse de réflexion si nous le faisions plus souvent ?
J’invite juste à la réflexion. Je ne dis pas de considérer cela comme un principe, mais plutôt comme un temps de pause et d’interrogation qui nous permettrait de nous demander, avant de parler soi-même, s’il est possible que celui qui vient de parler ait raison. La question n’est pas de savoir si je dois lui donner raison, mais de voir ce qui se passe si je laisse une ouverture. Qu’est-ce que ça crée comme alternative ? Sans vous engager, juste y penser.
Peut-être existe-t-il un point de vue qui ferait qu’il pourrait avoir raison. Peut-être y a-t-il une part de vrai dans ce qu’il dit. Peut-être qu’il dit cela parce qu’il a une idée en particulier que je n’ai pas. S’il a pris la peine et le temps de parler, est-ce que je ne devrais pas considérer ce qu’il dit comme quelque chose de sensé, au moins de son point de vue, est-ce que je ne devrais pas laisser le temps à ces paroles de prendre un sens avant de les remplacer par d’autres. Et au moins, je dois pouvoir lui laisser la liberté de conserver son idée à l’abri de la négation le temps qu’il décide lui-même de changer d’idée.
On n’a pas le temps, vous me direz, de se poser toutes ces questions. C’est vrai, c’est pour cela que je relie ce principe à l’impro. En impro, on n’a pas le temps non plus, et on ne fait qu’appliquer la règle, ce qui permet justement de ne pas avoir à se poser de question. Et ça ouvre tellement de choses impensables ! Si chacun essaie d’appliquer simplement cette règle un peu plus souvent, de laisser l’expression de l’autre exister en parallèle de la sienne, il est possible de créer un espace de réflexion plus riche.
Vis-à-vis de l’autre, celui qui en face de nous et qui vient de parler, cela va même bien plus loin. En lui laissant la possibilité « d’avoir raison », ou en lui laissant la liberté de penser qu’il a raison sans écraser ce qu’il vient de dire, on laisse libre son espace d’influence, on le laisse influencer a minima sa propre histoire, et se sentir apte à aller dans le sens qu’il souhaite lui-même.